La bourse ou la vie, le voleur vous laisse le choix. La femme exige les deux. (Loevan)

Tu n’as rien avalé depuis deux jours. Pour toi, Clary, qui a pour habitude de te sustenter pratiquement à volonté, parce que ton train de vie te le permettait, avant tout ça, c’est une véritable souffrance que d’avoir le ventre vide. Tu te sens molle, sans énergie, et toi, tu as assurément besoin d’énergie pour survivre sur la terre ferme. Le manque du remous des vagues était déjà en train de te rendre complètement folle, maintenant que la faim s’en est mêlée, tu pourrais presque affirmer que tu te sens à l’agonie que tu ne serais véritablement pas loin de la réalité.

Avant, il était simple de trouver un morceau de pain, quelque part. Aujourd’hui, c’est autre chose. Les taxes ne sont plus collectées, mais les récoltes sont difficiles à garder, les rats dévorent tout, ou plutôt, ils détruisent tout à mesure qu’ils dévorent les paysans, trop faibles, pas assez organisés pour rester en vie, et tenir bon face aux assauts répétés. Les morts relevés se font de plus en plus nombreux et si tu t’es déjà débarrassée de ceux qui ont tenté de s’en prendre à toi, aujourd’hui, tu doutes d’avoir encore la force de te battre. Manquer d’énergie et de force pourrait te coûter la vie, et bien entendu, les repas se vendent chers, à l’heure actuelle. Impossible pour toi d’acheter quoi que ce soit, tu as dépensé tes dernières pièces d’or il y a quelques jours, et tu n’as plus rien à vendre, ou à troquer mis à part cette chevalière.

Tu l’as observée, hier soir, cette bague qui ne tient pas à ton doigt parce qu’elle est taillée pour un homme d’une autre carrure que la tienne. Tu t’es demandée pourquoi tu ne l’avais pas encore vendue … et puis, tu t’es rappelée que tu pouvais la vendre une petite fortune il y a encore trois mois, avant de la ranger, en te disant que ça finirait par revenir, même si une part de toi continue d’en douter.

Tu n’as plus le choix, Clary, pour rester en vie, tu dois bouger, ou voler. En quelques minutes, tu as décidé de faire les deux et le vol est ta première option avant de pouvoir quitter les environs de Castel-Blanc pour de bon. Tu sais que tu vas lutter, parce que trouver un cheval ou un transport est devenu compliqué, mais il faut que tu rentres, ou tu vas mourir sur la terre ferme, et ça, tu le refuses. C’est donc un peu ailleurs que tu te faufiles dans les rues, que tu finis par repérer ce marchand qui peine à charger ce qui lui reste de marchandise sur son chariot abimé et … même si tu n’as pas pour habitude de dérober à ceux qui n’ont pas grand-chose, il en va aujourd’hui de ta survie alors, tu fais ton petit numéro, d’agréables sourires que tu forces parce que tu n’as probablement pas bonne mine et puis, finalement, tu subtilises du pain, un peu maladroitement avant de t’éloigner, sans te rendre compte que tu as bien mal cacher ton butin, et que ta longue cape le laisse à la vue de tous.

Est-ce que ça a encore du sens au moins ? C’est une putain de question que tu te poses en boucle depuis que le Royaume est tombé dans… ce cauchemar. Déjà que t’aimais pas spécialement les rats, avant, et bah tu peux dire sans honte que tu détestes les rongeurs maintenant. Enfin bon, du coup, même si tu n’as pas la réponse à ta question, et qu’il n’y a plus personne d’assez important pour te le dire et que tu écoutes, tu continues à faire… comme toujours. Tu veilles sur Castel-blanc, à défaut de pouvoir veiller sur la Princesse qui a, il paraît, fuit le château accompagné d’un homme. Tiens, ça aussi tu te demandes bien qui ça peut être.

Tu es à pied, aujourd’hui, parce qu’en ce moment, les mouvements de foules rendent passablement Black nerveux. Du coup, tu patrouilles en armure, main sur une de tes poignées d’épée. Tes yeux sont partout et pourtant, depuis ce matin tu ne fais rien de bien intéressant. T’as arrêté deux trois gamins qui essayaient de piquer dans une maison. Un soulard a dessoulé rapidement, la gueule dans un tonneau d’eau. Tu as arrêté une bagarre entre deux femmes qui se disputaient pour un homme, visiblement. Autant dire que tu es déjà bien agacé quand tu vois un vendeur regarder bizarrement une personne qui s’écarte de son stand.

Tu n’as même pas besoin de voir la colère ou le choc contaminer ses yeux, quand il comprend ce qu’il se passe, que tu bondis en avant. Tout le monde a du mal à survivre, mais ça ne rend pas le vol plus acceptable, alors tu finis par bondir et refermer ta main sur le bras de la jeune femme qui se cache sous une lourde cape d’hiver. Tu tires sur elle sans une once de douceur, et tu lui fais lâcher, au passage, le pain qu’elle a volé.

« Mademoiselle. Que tu grognes, en la tirant face à toi. Vous avez oublié de payer pour ce pain. »

Tu te penches, sans la lâcher, et tu viens ramasser le pain que tu lèves sous son nez pour qu’elle ne puisse pas bouger les yeux sans le voir. Tu cherches la culpabilité des voleurs dans ses yeux, avant de prendre le temps de l’observer un peu plus et avoir… une drôle de sensation. Tu fronces les sourcils en secouant le nez quelques secondes et…

« On se connait ? Que tu ne peux t’empêcher de demander.
-Monseigneur, vous l’avez arrêté ! S’exclame le marchant en s’approchant. C’est une voleuse ! Je veux qu’elle me paie ce pain et des réparations supplémentaire pour l’outrage qu’elle m’a fait ! »

Tu y arrives, normalement. Rares sont les fois où tu as des problèmes avec un simple vol … tout te paraissais atrocement facile, tu as pris le temps de la discussion, tu as offert quelques sourires, tu l’as même aidée à charger quelques sacs de grain dans son chariot tout miteux et puis, oui, doucement, dans un mouvement aussi lent qu’assuré, tu es venu attraper le pain avant de t’éloigner, non sans offrir un signe presque amical à ce pauvre bougre qui, sans que tu ne comprennes bien pourquoi, au départ, te fixes d’une drôle de manière et ne te réponds même pas.

Tu as le temps de faire quelques pas, pas plus, subitement, tu sens une main s’accrocher à ton bras, tu te sens être tirée bien brutalement, et puis, tu te retrouves face à un homme, que tu ne connais pas et qui t’offres un drôle de regard avant de te signaler que tu as … oublié de payer pour le pain. Evidemment, il s’arrange aussi pour faire chuter la dîtes marchandise au sol, avant de la ramasser pour te la mettre sous le nez, tout en se penchant sur toi. Peut-être s’attends-t-il à ce que tu t’excuses, que tu fondes en larmes pour demander pardon, mais la tromperie et la manipulation, ça te connaît et tu sais que c’est la dernière des choses à faire. Si tu ne veux pas passer pour coupable, n’agit pas comme tel. C’est ton mentor, qui te l’as appris, il y a bien longtemps.

Ce n’est donc pas de honte que se charge ton regard, à ce moment, tu prends l’air le plus innocent qui soit, et te voilà à littéralement transformer ta personnalité en une autre. « N-non, monseigneur, je ne crois pas … je ne suis qu’une humble villageoise. » Et puis, tu te tournes vers le marchand, et sur ton visage, se forme douleur et déception, tandis que tu prends une expression complètement choquée, outrée. « Je … c’est faux je … je viens d’aider cet homme, il m’a demandé assistance pour charger son chariot en échange de miches de pain. » Et te voilà, à continuer ton cinéma, en t’en prenant directement au marchand, comme si réellement, tu étais dans le vrai alors que tu sais aussi bien que lui que tu es en train de mentir comme tu respires. « Vous m’avez utilisée ! Je … » Un regard vers le crétin qui croit pouvoir faire la loi et … « J’avais faim, je n’ai pas mangé depuis deux jours, j’ai offert de mes réserves de forces et d’énergie pour obtenir ce pain, messire, je vous … croyez-moi, je vous en prie, cet homme est un fieffé menteur qui tente de faire du profit. » Un habile mélange de mensonge et de vérité, à ton sens, c’est ce qui fonctionne le mieux pour embrouiller le monde entier.

Tu n’as clairement pas envie de te prendre mille ans la tête sur ce vol stupide et complètement échoué. Puis bon, tu es peut-être le représentant de la loi (en tout cas, toi c’est comme ça que tu vois les Chevaliers hein), tu n’es pas censé faire le travail des soldats. D’ailleurs, à cette pensée tu tournes ta tête pour aller regarder si t u ne vois pas une patrouille avant de soupirer. Ca y est, ça commence à te sortir par les yeux.

« Arrêtez, l’un autant que l’autre ! Tu grognes, en continuant de tenir la fille et en repoussant le marchant. Je ne suis pas un noble, juste un chevalier. Servez des “monseigneur” à ceux qui en veulent, mais pas moi. »

T’es vraiment en train de leur faire la morale sur ça, c’est con quand même. En tout cas, ça te tire un claquement de langue et les autres chevaliers seraient là, qu’ils feraient une remarque sur ta patience ultra limitée quand même. Tu n’as même pas le temps de t’énerver que la jeune femme vient donner sa version de l’histoire, se tourne vers le marchand, l’accuse de l’avoir utilisé et lui, bien entendu, il commence à s’énerver.

« Ca suffit ! Que tu claques en venant pincer l’arrête de ton nez, un air clairement pas commode sur le visage.
-Mais elle ment ! Ce n’est qu’une sale petite voleuse ! Elle m’a aidé sans ne rien réclamer ! »

Tu relâches le bras de la jeune femme quand l’homme, qui devient rouge de colère, essaie de t’attraper. En une seconde, tu as ta lame dégainé, tendu vers l’homme pour le calmer, avant de se tourner vers la jeune femme, et tu grognes :

« Donnez-lui le pris de son pain, uniquement ça.
-Mais elle m’a volé, elle mérite de payer une amende et…
-J’ai dit le prix du pain ! Tu tournes ton regard glacé sur la jeune femme. Vite, avant que ne me prenne l’idée de vous jeter TOUS LES DEUX dans les geôles de la garnison ! »

Jouer la comédie, c’est quelque chose que tu maitrises bien. Tu ne comptes plus les fois où t’es tirée de bien des situations problématiques simplement en mentant et en manipulant ton monde. Aujourd’hui, tu n’as pas d’autre choix que de jouer à ça, encore une fois. Déjà parce que tu as faim, et que tu es sans le sou, ensuite parce qu’il est bien hors de question qu’un Garde ou peu importe ce que c’est d’ailleurs ne te mettes la main dessus pour … pourquoi, d’ailleurs, hein ? Les gardes ont déserté les geôles de la ville depuis un mois déjà.

Si tu avais été seule, en face de ce marchand, tu l’aurais déjà assommé avant de disparaitre dans un coin de rue, il ne t’aurais jamais revu, les choses se seraient terminées bien rapidement mais, là, alors que tu manques d’énergie et d’envie de te battre, tu dois faire face à cet homme, visiblement sauveur des faibles et des opprimés – ridicule – qui en plus, semble en pleine crise identitaire et ça, ça te ferais presque lever les yeux au ciel si tu n’étais pas dans l’obligation de rester dans ton rôle de pauvre jeune fille flouée.

En face, le marchand hurle, se débat, t’accuses d’être une voleuse, et offre la vérité au brun qui, bien vite, face à ces chamailleries se met à perdre patience, tu le sens, hein, et tu le vois, et il ne faut pas plus d’une minute de plus pour qu’il implose, qu’il abandonne au moins l’idée de te mettre en prison, ou de te coller une amende, du moins, seulement si tu décides de payer le marchand. Et bon sang, dans le dos du pseudo héros, avant qu’il ne repose les yeux sur toi, tu viens lancer un regard sombre et menaçant au marchand qui, littéralement, vient de ruiner ton espoir de te remplir le ventre. Tu pourrais le tuer, pour ça, parce qu’il vient de passer de pauvre bougre innocent et malchanceux à crétin gênant dont tu ressens le besoin de te débarrasser. Tu le ferais, seulement si l’autre homme n’était pas là, évidemment.

« Je n’ai rien … » Tu finis par avouer, en faisant un pas en arrière. « Gardez votre pain. » Ça t’arrache la langue, tu as une sainte horreur d’abandonner une prise mais ces deux-là sont bien trop gênants et tu ne veux certainement pas perdre de temps supplémentaire à te disputer pour ça. « Vous devriez avoir honte … » Tu souffles, finalement, au marchand, sur un fond de vérité qui pourrait presque paraitre … atrocement bouleversant. « Vous devriez vous en méfier, il fera de même avec n’importe qui croisera sa route … » C’est ça, essaie un peu de lui attirer des ennuis à ce gros bonhomme, alors que, c’est toi qui es venue lui voler ce qu’il possédait.

Et tu finis par te détourner, tu as l’air abattue, de l’extérieur, et tu ressers les pans de ta cape sur toi, mais, à l’intérieur, tu bouillonnes et ta main vient même serrer le manche de ton arme, cachée sous ton vêtement comme si tu luttais encore avec l’envie dévorante de la lui envoyer dans un œil, à ce marchand de pacotille.

T’as vraiment pas envie de continuer ce petit jeu bien longtemps, c’est pour ça que tu commence à t’énerver. Ca et aussi l’impression que les gens qui sont censé être adulte et responsable autour de toi ne le sont absolument pas. Ca te rend complètement chèvre mon vieux. T’as beau avoir à peine 35 ans, tu te dis parfois que tu dois avoir le sérieux d’un vieux comme Wirdan tiens. Peut-être même qu’il se foutrait de ta tronche et ça aussi ça t’agace.

Du coup, tu te retrouves à arbitrer ce différend à la noix, en tentant de réparer le vol sans aller jusqu’à punir la jeune femme qui a clairement l’air maigre. T’es presque certain qu’elle ne se nourrit pas à sa faim depuis quelque temps, comme beaucoup de gens. Sauf que si tu trouves ta solution plutôt intelligente et honnête, et bah elle vous apprend qu’elle n’a rien, alors que l’homme crache un “AHAH” triomphant.

Elle finit de marmonner quelques menaces ou remontrances, t’en sais rien t’écoutes que d’une oreille, a l’homme et la voilà qui part la tête basse. Et vraiment, Loevan, tu as juste envie de partir, maintenant, sauf que tu ne peux ignorer son air triste et son visage tout palot. Tu grognes, ca monte du fond de toi dans un son sacrément grave.

« Putain de merde !Que tu lâches tout à coup, en fouillant dans ta poche pour trouver une piécette et la fourrer dans les mains de l’homme en lui reprenant aussi sec le pain.
-Eh mais c’est que la moitié du prix ça ! Crache l’autre.
-Je vous préviens, soit vous prenez ça, soit je reprends mon argent ! Ne me cherchez pas trop longtemps ! »

L’homme se gonfle mais quand il voit l’éclat de violence dans tes yeux, il se détourne aussi sec avec sa piécette en marmonnant que chevalier ou pas, t’es juste un sale type. Et franchement, Loevan, tu es plutôt d’accord avec lui mais surtout tu t’en fiches. Tu es déjà en train de rengainer ton arme puis te mettre à courir derrière la jeune femme, et l’arrêter de la même manière qu’il y a quelques minutes.

« Prenez ça. Que tu lui dis, en fourrant le pain dans ses mains. Et cessez de voler les gens. Si vous voulez manger, trouver du travail, aussi dégradant soit-il, mais soyez une honnête personne. »

T’es quand même un chien quand on y pense, parce que tu as bien de la chance à avoir de l’argent de côté et un salaire qui coule toujours, tu ne sais pas trop comment. Tout le monde n’a plus cette chance. Encore plus qu’avec l’arrivée de l’épidémie, c’est certain que les emplois sont dorénavants plus vraiment en attente de nouvelles têtes.

« Vous venez de la ville ? Où est votre famille ? Vous devriez rentrer chez vous et prendre soin de vous, vous êtes pâle comme de la farine. »

Ce qu’il t’agace, ce marchand. Comme si tes mots pouvaient signifier une victoire de sa part, le voilà qui s’exclame d’une drôle de manière te tirant imperceptiblement une grimace dégoutée. Rares sont les fois où tu te retrouves avec cette sensation d’avoir pieds et poings liés et le souci, avec toi, c’est que tu es bien mauvaise perdante, et que tu ne supportes pas d’être celle qui se détourne, la queue entre les jambes. Pourtant, cette fois, il semble que ce soit la meilleure des choses à faire alors, tu avoues ne pas avoir la moindre pièce sur toi, tu recules, et puis, tu t’éloignes, sans manquer de continuer ta comédie en mettant en garde ce … garde indésirable.

Et alors que tu cherches déjà un autre moyen de trouver quelque chose qui remplira un estomac, il se passe quelque chose de fort inattendu, Clary. Tu entends l’échange entre les deux hommes qui te font ralentir, et puis, finalement, de nouveau, la main du brun vient se refermer sur ton bras pour te rattraper. Il vient directement mettre le pain entre tes mains avant de te servir un discours qui te fais prendre conscience que, visiblement, il n’a pas été assez idiot pour croire ton histoire. Par contre, tu sembles tout de même assez misérable – pour de vrai – pour qu’il prenne le risque de t’offrir de bonne grâce cette miche de pain.

Tu fais alors passer la boule de pain d’une main, à l’autre, avant de relever les yeux sur l’homme et, autant dire que ton regard a changé, Clary, il n’est plus celui d’une pauvre paysanne affamée et blessée par le comportement d’un goujat. « Voyez-vous ça … monsieur le … vous êtes quoi, tiens ? Un garde ? Un Chevalier ? » Tu laisses échapper un petit rire, franchement moqueur, et sacrément amer aussi. « Un donneur de leçon. » Tu ajoutes, et te permettant d’approcher légèrement ton visage, comme un serpent observe une proie qu’il compte bien gober. « Visiblement, ça paye de se traîner aux pieds d’une gamine pourrie gâtée. »

Il y a finalement comme un sourire sacrément mauvais qui pointe le bout de son nez, pour quelques secondes et puis, tu remets un pas d’espace entre vous deux. « Oubliez vos politesses et votre sollicitude. Je ne suis pas d’ici, je n’ai pas la moindre famille et je suis parfaitement capable de prendre soin de moi. » Du moins, quand on ne vient pas te déranger. Par contre, tu vois, tu gardes la miche de pain avant de te détourner à nouveau. « Passez une agréable journée, messire Chevalier de la Princesse. »

T’es vraiment une quiche… Tu viens de claquer ton argent pour acheter un bout de pain que tu ne mangeras même pas. Et pire que ça, tu vois, parce que tu le fais pour une femme qui a probablement volée ce même morceau de pain. Franchement, Loevan, tu détestes habituellement les voleurs, encore plus après que tu en ai toi-même été victime il y a quelques mois… Sauf qu’il s’agit d’une femme, et qu’elle a l’air en mauvais état. Tu ne vas pas laisser cette toute jeune femme mourir de faim, non ? Non, c’est certain.

Du coup, en deux temps, trois mouvements, tu reviens l’attraper pour lui mettre sa miche entre ses bras et lui faire la morale au passage. Et franchement, tu n’oserais pas te dire que tu mérites un merci, mais quand même un peu. T’es peut-être un peu âpre, ca n’empêche que tu viens de payer son pain pour elle, et que tu le lui donnes en entier. Et pourtant… elle vient ouvrir la bouche et tu déchantes aussi sec.

« Ne manquez pas de respect à la princesse ! Tu claques, même si t’en penses pas mieux. C’est ton rôle de la protéger, c’est tout. Et à moi-non plus ! Je suis le Chevalier Loevan Nethgar, Chevalier de Castel-blanc, pas n’importe quel garde à qui vous pouvez vous adresser de cette manière ! »

Tu n’aimes clairement pas jouer de ton rang ni de ton identité sur les gens, mais elle te pousse à bout cette idiote. Si t’exploses pas, tu adoptes un ton clairement mécontent et finalement quand elle vient même jusqu’à balayer tes “conseils” et qu’elle ose se sauver sous ton nez sans une once de respect ou de remerciement, tu te remets en branle aussi sec.

« J’ai été idiot. Que tu grognes en la rattrapant. Vous méritez visiblement de mourir de faim ! »

Et te voilà à lui arracher le bout de pain d’entre ses mains avec une violence que tu ne contiens absolument pas. Tu reprends ton bien sans attendre et tu la repousses même un peu au passage, prouvant combien tu peux être macho quand tu t’y mets, tes yeux glissent sur elle, et le regard colérique, tu lui apprends, avec un sourire plein de provocation :

« À vous aussi, très chère mademoiselle. Et profitez du temps qu’il vous reste pour quitter cette ville, je vais me faire un plaisir de donner votre signalement aux patrouilles pour qu’on ne vous laisse pas tranquille. »

Tu viens même faire une légère courbette avant de lui tourner le dos pour te remettre en route à grands pas.

Ah, ce que tu détestes avoir à faire face à ce genre de personne. Il est tellement arrogant que tu pourrais te mettre à le frapper, fort, histoire de lui faire entrer dans le crâne qu’il ne vaut certainement pas mieux qu’un autre. Et pourtant, encore une fois, tu dois te raviser, garder tout ça pour toi et si tu ne te retiens pas de faire ta langue de vipère et d’être particulièrement désagréable, autant qu’irrespectueuse, tu sais aussi que tu n’es pas en position de force et que tu ne peux juste pas faire n’importe quoi. « Nous y voilà … c’est vous qui refusiez le respect pompeux il y a encore quelques minutes, mon vieux. » Et ça, ça te fait dire qu’en plus du reste, il est lunatique et versatile. Oui, oui, tu te fais rapidement tes opinions, sur les autres, il faut bien l’avouer.

Néanmoins, si tu pourrais continuer comme ça toute la journée lorsque tu tiens ta forme habituelle, tu ne t’en sais pas du tout l’énergie aujourd’hui et c’est pour ça qu’après lui avoir dit ce que tu avais à lui dire, tu te détournes, non sans une dernière petite pique agaçante et forcément, tu gardes la boule de pain parce que, tu en ressors gagnante, c’est ce que tu voulais, à la base. Le hic, c’est qu’il semble que tu sois tombée sur un bel emmerdeur, ma fille, et qu’il n’accepte pas spécialement d’être remis à sa place – d’autres diraient que tu l’as clairement insulté, malgré sa générosité, hein, mais … tu n’as aucune morale, il ne faut pas t’en vouloir – parce qu’il te rattrape, pour la troisième fois de la journée, il t’arrête, et après avoir fait l’inverse il y a quelques petites secondes, il vient juste … reprendre le morceau de pain et toi, tu échappes un étranges grognement plaintif.

« Rendez-le-moi ! » Tu t’exclames, alors que lui, vraisemblablement est décidé à simplement te laisser là, il n’oublie pas de te menacer, aussi, de te prévenir qu’il va faire en sorte que tu sois arrêtée – il semble manquer du courage nécessaire pour le faire et peut-on réellement lui en vouloir ? – et toi, ça te rend dingue, immédiatement, tu sais que tu ne laisseras pas s’en tirer à si bon compte et ça, tu vois, la hargne, la rage, ça vient te donner un boost d’énergie. Du coup, tu viens chercher la dague que tu caches toujours sur toi, et dans un geste aussi agile que soudain, tu la lances dans sa direction. La lame passe à quelques centimètres de l’homme pour venir se ficher dans le bois d’une enseigne peinte, à quelques mètres. « Si vous ne souhaitez pas que la prochaine vienne se planter dans votre dos, Chevalier, abandonnez ce pain et retournez à votre princesse. »

« Je refuse le monseigneur, gamine ! Que tu attaques en lui servant une remarque sur sa jeunesse, puisqu’elle t’en sert une sur ton vénérable âge. Je ne suis pas un de ces nobles inutiles qui vit dans l’opulence mais un chevalier. Et vous, vous devriez me témoigner un peu plus de respect si vous ne voulez pas finir dans les geôles de la ville ! »

Bon, même si, mine de rien, c’est pas vraiment ton genre d’aller jeter le premier venu en prison, même quand il te sort par les yeux. Tu préfères bien plus hausser le ton ou ficher ton poing dans le nez d’un type un peu trop chiant que de l’arrêter. Rien qu’aussi parce que tu n’as pas envie de devoir aller jusqu’aux prisons de Castel-blanc, marchander pour le faire enfermer et être responsable de penser à le relâcher un jour.

En attendant, de toute façon, elle te manque de respect et pour ça tu décides, tout à coup, de lui reprendre son pain. Tu l’entends bien tenter de t’arrêter et de te demander de lui rendre son bien (qui en vrai est le tien) mais tu es déjà en train de repartir sans oublier de glisser une menace. Et ce qui glisse aussi, c’est ton pied quand tu sens une lame manquer de te frôler. Tu perds l’équilibre une seconde avant de te reprendre, et tes yeux bleus, fatigués et énervés, vont de la lame qui vibre encore, dans le bois, à elle qui… te menace ?!

« Vous n’auriez pas dû ! Que tu grondes, et cette fois-ci, tu déposes le pain sur un tonneau vide, qui attend près du magasin, et tu dégaines non pas une épée, mais les deux. Ta posture s’adapte aussi sec, prouvant l’habitude que tu as dans ce maniement d’armes doubles. Je vous laisse une minute pour me présenter vos excuses et partir d’ici, où je vous traiterai comme n’importe quel ennemi de cette ville : en vous tuant. »

Bon, tu n’as pas vraiment le droit de la tuer, mais t’as pas vraiment envie de la laisser faire comme bon lui semble. Tu n’es pas à son service et déjà que la princesse te sort par les yeux, tu ne vas pas laisser une brunette faire la loi.

« J’attends. Que tu rajoutes, en faisant un pas vers elle, armes en avant. À ce petit jeu, vous ne gagnerez pas, Miss voleuse. »

Et il est fort probable que tu as un peu trop foi en tes capacités de bretteurs parce qu’en face de toi, voleuse ou pas, c’est une femme qui doit peser le poid d’un oisillon. Tu ne peux pas perdre contre elle, non ?